Des serres sur les toits: l’avenir de l’écologie en ville

Article paru dans le journal Le Soir en Belgique

Le projet européen « Greenhouse to reduce CO2 on roofs » (Groof) vise à réduire les émissions de CO2 en milieu urbain en combinant récupération de l’énergie et production locale de végétaux dans une serre sur toit – une zone rarement exploitée sur les bâtiments en ville.

Sur le toit de L’Entrepote, placer une serre permettrait de récupérer l’énergie du bâtiment tout en gagnant un espace de vie et de travail en hiver. ©Dominique Duchesnes.

Par Marie Thieffry
Journaliste au service Société
Le 26/10/2020 à 12:22

 

En plein cœur de Schaerbeek, derrière la maison communale : poussez une porte de garage, montez les escaliers en fer forgé et vous voilà arrivés sur le toit garni de plantes et d’aromates de L’Entrepote. Depuis deux ans, Laurent Gauthy, avec sa compagne et un couple d’amis, a racheté et rénové cet ancien atelier de menuiserie de plus de 300m² pour en faire un espace polyvalent accueillant formations, potager collectif, cuisine bio, apéros urbains et spectacles. Malgré le coronavirus qui a ralenti les activités socioculturelles du lieu, les projets continuent, dont le potager collectif et les formations qui lui sont liées, ainsi que la cuisine bio.

« A cette époque de l’année débute l’hivernage du potager », observe Jean-Brieuc Feron, ingénieur et consultant pour L’Entrepote. Son regret : ne pas pouvoir exploiter le toit du local toute l’année. « La production alimentaire du projet d’agriculture urbaine que nous entamons ici s’arrête à cause du froid. » Une grande frustration pour les propriétaires du lieu, tout comme pour les habitants du quartier qui le fréquentent. « Nous avons toujours voulu décupler ce que l’on appelle la “cinquième façade” du bâtiment : ce toit que l’on oublie trop souvent dans les constructions, qui, pourtant, permettrait de minimiser l’impact écologique de nombreux immeubles… en réutilisant l’énergie rejetée », souligne Jean-Brieuc.

 

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Poussés par cette envie, les gérants de L’Entrepote n’ont pas hésité à répondre à l’appel à projet Groof. Acronyme anglais signifiant « Des serres sur les toits pour réduire le CO2  », Groof est une initiative européenne qui encadre une dizaine de projets depuis 2019. L’idée : réduire les émissions de CO2 en milieu urbain en combinant partage de l’énergie et production locale d’aliments. Pour Pierre Raulier, chercheur au sein du Centre de recherches en agriculture urbaine (C-RAU) de l’ULiège qui accompagne notamment le projet en Belgique, aucun doute : « L’agriculture a son mot à dire en ville, tandis que l’on cherche à développer des systèmes de production locaux ».

 

Vers un guide pratique

« En Europe, on perd en moyenne 30 % d’énergie par le toit », complète le directeur du laboratoire CRAU de l’ULiège, le professeur Haïssam Jijakli. « Souvent les toitures sont peu isolées ; leur rajouter une sorte de “chapeau” favorise la préservation de l’énergie dans le bâtiment… ainsi que sa récupération. Un bâtiment avec une serre sur le toit dégagera donc bien moins de CO2 qu’un bâtiment sans “chapeau” ou même une serre de plain-pied. Simples hypothèses de recherche au départ, ces idées sont mises en pratique dans le projet Groof. »

Intégrant une cuisine dont la chaleur est extraite par le toit et un potager urbain situé à ce même endroit, l’Entrepote était le candidat idéal pour mettre en place le projet. « Une des forces de notre bâtiment et la raison pour laquelle il a été sélectionné parmi d’autres lieux bruxellois, c’est que nous avons, dès la rénovation, renforcé la structure de base », explique Laurent Gauthy. « C’est souvent ce qui fait défaut dans les projets d’agriculture urbaine : mettre des pots, des bacs, de la terre, du compost, des réserves d’eau… tout cela sur un toit, cela pèse et stresse la structure du bâtiment. C’est dès le début de la construction ou rénovation d’un bâtiment qu’il faut penser cette perspective nécessaire aujourd’hui si l’on veut gagner en espace et en économie d’énergie. Il ne faut plus que cette “cinquième façade” demeure inoccupée. On perd trop en l’oubliant. »

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Pour l’instant au stade de la conceptualisation, les chercheurs de l’ULiège travaillent avec L’Entrepote à un bon « business model ». Jusqu’en septembre 2021, un coaching organisé avec les onze autres partenaires du projet Groof se tiendra régulièrement afin d’aider au développement de la serre adaptée à leurs besoins. Cette expertise permettra aux chercheurs de mesurer une série de données permettant d’aboutir à de véritables conclusions sur les économies d’énergies réalisables. « Dans un an, on aura tout ce qu’il faut pour construire », lance Laurent Gauthy. Une concrétisation qui aboutira à un guide pratique conclusif du projet Groof, réunissant un ensemble d’outils pour permettre aux porteurs de tels projets de les réaliser au mieux.

Groof

M.TH.

Le projet « Greenhouse to reduce CO2 on roofs » (Groof), c’est 11 partenaires européens du Luxembourg, de la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne, pour 4,93 millions d’euros de budget. L’ULiège a reçu près de 1 million d’euros financé à 60 % par Interreg NWE et 30 % par la Wallonie pour les partenaires wallons du projet, ainsi que 10 % par l’ULiège. Il existe actuellement 4 serres pilotes dispatchées chez les partenaires du projet en Belgique, France, Luxembourg et Allemagne. En Belgique, L’Entrepote est l’un des 5 projets pionniers sélectionnés pour la deuxième phase d’accompagnement. Coordonnée par l’ULiège avec le Centre de recherches en agriculture urbaine (C-RAU) et le Smart City Institute, HEC Liège, Groupe One et le soutien du Cluster Eco construction, la première phase de fin 2019 à fin 2020 a déjà accompagné dix projets de serre en toiture, avec des premières observations extrêmement positives, encourageant l’implantation de ce genre de structures en ville.

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